Trevis Maponos
Namsal Siedlecki
5 juin — 20 juillet 2019
La pratique des ex-voto se développe dans différentes cultures, formes et époques en témoignant d’une superstition magique des êtres humains qui cherchent à négocier la bienveillance d’une déité, de la nature ou tout simplement de la Fortune. Elle engage aussi un sentiment religieux et un besoin d’accéder au royaume du magique et du surnaturel. Dans une approche transculturelle et transhistorique, les dons votifs possèdent une fonction symbolique commune qui situe ces artefacts dans la continuation d’une représentation matérielle d’une culture.
Entre 1968 et 1971, plus de 3.500 ex-voto gaulois ont été retrouvés dans la source des Roches à Chamalières près de Clermont-Ferrand. Réalisés en bois d’hêtre, ces objets sont l’expression d’une culture populaire, représentative d’une production non-artistique et naïve conçue expressément pour des questions religieuses et non esthétiques. Entre offrandes et sculptures, les ex-voto ont été jetés dans la source, un sanctuaire en pleine nature où les croyants pouvaient se rendre dans une interaction directe avec la divinité du lieu, Maponos, dieu guerrier et guérisseur, qui utilisait l’eau purificatrice pour soigner les maladies des pèlerins.
À l’occasion de « TREVIS MAPONOS », Namsal Siedlecki tisse un lien entre le rituel des ex-voto gallo-romains et la tradition contemporaine de jeter de la monnaie dans la Fontaine de Trevi à Rome pour réaliser nos souhaits et désirs.
En 1800 l’archéologue allemand Wolfgang Helbig remarque la souffrance et la nostalgie de ses amis sur le point de quitter la ville éternelle et invente le rituel de lancer une pièce dans la fontaine comme propitiation et espoir d’un retour à Rome. La Fontaine de Trevi devient ainsi un exemple célèbre de puits à souhait qui, au-delà de recueillir les désirs et les rêves de milliers de personnes, collecte chaque année 1.5 million d’euros.
Dans « TREVIS MAPONOS », Namsal Siedlecki transforme les espaces d’In extenso en un sanctuaire contemporain, une salle d’attente pour les désirs avant de s’accomplir. L’artiste a conduit un projet de numérisation 3D autour des ex-voto de Chamalières, aujourd’hui conservés au Musée Bargoin de Clermont-Ferrand, pour les reproduire en cire en préservant leur état actuel de conservation. Parallèlement il a récupéré plus de 130.000 pièces de monnaie de la Fontaine de Trevi qui correspondent à 5% du pactole annuel et qui ne peuvent pas être échangés par le Vatican (certaines n’ont pas cours légal, d’autres proviennent d’états avec une très haute inflation, ou encore ont été modifiées ou sont des médailles…). Après avoir sélectionné toutes les pièces en argent et les avoir fondues, Siedlecki utilise la technique de la galvanoplastie : par le biais de l’électrolyse, le bloc de métal (anode) obtenu par la fusion des monnaies, se dépose sur la reproduction de l’ex-voto (cathode) en couvrant la cire d’argent.
La source primordiale rencontre à travers l’électricité la fontaine contemporaine dans un troisième réservoir, le bain galvanique, une solution d’eau et de sels métalliques. Les attentes et les rêves d’époques différentes se mélangent dans un artefact unique et collectif et deviennent ainsi une matière tangible.
Trevis Maponos est un dieu sans visage qui présente une identité fragmentaire composée de plusieurs membres gisant sans vie dans l’espace d’exposition. À travers le procédé galvanoplastique, la forme originelle des ex-voto se trouve dans la partie vide à l’intérieur de la sculpture et la couche de métal agit en tant que masque protecteur. Ceci cristallise « la présence d’une absence »1, en dévoilant la relation entre la trace et la mémoire, la partie extraite et le tout. Les corps semblent ici avoir été déchirés et seule l’intervention de l’artiste peut redonner une nouvelle identité aux restes en exaltant autant leur caractère autonome que leur force spirituelle collective.
Ces désirs composites montrent l’intérêt de Siedlecki pour la recherche symbolique de la divinité qui se cristallise dans le geste de jeter une offrande comme résultat d’une promesse et d’un échange palpable entre l’humain et le surnaturel. Dans ces rituels magiques, le divin et l’abstrait interviennent en faveur de nos besoins terrestres, en établissant un paradoxe cognitif : quoique leur utilisation vise à résoudre des problèmes, les rituels manifestent des conventions culturelles qui oublient la connexion originelle entre l’action performée et l’aboutissement du désir. L’aspiration humaine à tout vouloir contrôler fait face à son impuissance et se laisse dominer par la glorification de la puissance céleste.
1 — Georges Didi-Huberman, L’Empreinte, cat. exp., Paris : Centre Pompidou, 1997.
Namsal Siedlecki (Greenfield, États-Unis, 1986), vit et travaille à Seggiano, Italie. Ses œuvres ont récemment été exposées dans des lieux tels que : Magazzino (Rome), ChertLüdde (Berlin), la Galerie Acappella (Naples), Very Project Space (Berlin), 6e Biennale internationale des jeunes artistes de Moscou (Moscou), Frankfurt am Main (Berlin), la Galerie Boavista (Lisbonne), le Centre d’art contemporain Luigi Pecci (Prato), la Galerie Madragoa (Lisbonne), Villa Romana (Florence), la Fondation Sandretto Re Rebaudengo (Turin), l’American Academy in Rome, la Villa Médicis (Rome), la Fondation Bevilacqua la Masa (Venise), Cripta747 (Turin). En 2015, il a remporté le « Cy Twombly Italian Affiliated Fellow in Visual Arts » à l’American Academy in Rome.