TEMPO: Chapitre 1
Iroise Doublet, Victor Gény, Théo Levillain, Leo Reichling, Kolja Venturi
30 novembre — 21 décembre 2024
Dans le cadre d’un partenariat établi en 2022 avec la structure clermontoise Les Ateliers, In extenso accueillera la troisième édition de l’exposition TEMPO dans ses murs fin 2024-début 2025
TEMPO une exposition en deux chapitres
Pourquoi y a-t-il quelque chose ici alors qu’il ne devrait rien y avoir ? Pourquoi n’y a-t-il rien ici alors qu’il devrait y avoir quelque chose ?
avec Hélène Caiazzo, Iroise Doublet, Victor Geny, Théo Levillain, Jade Lievre, Leo Reichling, Brice Robert, Fréderic Storup, Kolja Venturi
Chapitre 1 : Pourquoi y a-t-il quelque chose ici alors qu’il ne devrait rien y avoir ?
Iroise Doublet, Victor Gény, Théo Levillain, Leo Reichling, Kolja Venturi
30 novembre – 21 décembre 2024
vernissage samedi 30 novembre ; 18h – 21h
Posées par Mark Fisher dans son livre The Weird and the Eerie, ces questions ont servi de cadre pour relier plusieurs pratiques artistiques qui, à première vue, n’ont en commun que le partage de l’espace des Ateliers. La richesse des pratiques radicalement différentes présentées dans cette exposition reflète ainsi celle de partager un même lieu de travail. Chaque jour, les artistes occupent le même environnement, se retrouvent dans les espaces communs pour un café, un déjeuner, une partie de billard ou une pause, échangeant matériaux et idées, avant de regagner leurs ateliers pour y développer des univers plastiques distincts et autonomes. Malgré l’individualité de leurs pratiques, les gestes et rythmes de chacun imprègnent l’espace collectif, créant des résonances subtiles qui tissent des liens sensibles à travers leurs routines quotidiennes.
Les artistes présenté·es dans ce premier chapitre – Pourquoi y a-t-il quelque chose ici alors qu’il ne devrait rien y avoir ? – semblent avoir néanmoins un point commun qui transcende leurs différences. Après une année passée entre les murs des Ateliers, où les journées ont été rythmées par les silences et le brouhaha des idées, les œuvres s’aventurent dans des espaces invisibles où la présence défie l’attente et où l’absence laisse une trace indélébile. Les œuvres sont liées à travers des gestes de prélèvement, de répétition, de superposition et d’effacement qui retracent les échos de l’histoire, de la routine et de la matérialité. Ainsi, les artistes dévoilent des moments où le familier glisse vers l’étrange et où le poids de ce qui reste provoque un sentiment de persistance énigmatique.
Le travail d’Iroise Doublet touche au secret et autant au désir d’énoncer quelque chose qu’à l’effacement de cette même chose. Chaque jour, dans un geste devenu habitude, elle recouvre ses cahiers de peinture blanche, les rendant inaccessibles et scellant les récits qu’ils contiennent. Ces actions de recouvrement trouvent un écho dans une feuille volante, un dessin-collage accroché au mur, où les formes de ses cahiers deviennent des fenêtres silencieuses. Au centre, les mots « no feelings » émergent, fragiles et méditatifs, porteurs d’une réflexion autour de la présence et de l’absence. Ce travail, entre énonciation et disparition, s’inscrit dans une lignée d’artistes et écrivaines comme Laura Lamiel, Lourdes Castro, Annie Ernaux et Marguerite Duras, où le silence, la retenue et l’effacement deviennent des formes puissantes de langage.
Victor Geny explore les systèmes de pouvoir à travers des œuvres mêlant récits populaires et réflexions sociales. Intitulés France Core, ses pièges sculpturaux, inspirés de la Bête du Gévaudan, évoquent à la fois la réalité dans des territoires ruraux et l’échec symbolique de la monarchie face à une menace insaisissable. Fabriqués en béton et matériaux de transport, ils interrogent les conditions modernes du travailleur, pris dans des mécanismes de contrôle invisibles. À côté, une colonne dessinée sur du lin contraste par sa fragilité, remettant en question l’architecture traditionnelle, rigide et virile. Ces pièces établissent un dialogue entre passé et présent, force et fragilité, et imprègnent l’espace d’exposition d’une critique des structures de pouvoir et d’une poétique de l’irrésolution.
Les œuvres de Kolja Venturi mêlent une esthétique baroque à des éléments fantastiques pour créer une atmosphère onirique. Une cloche, tirée d’un jeu vidéo et réalisée en porcelaine, devient une forme fossilisée dépouillée de sa fonction d’origine. Cet objet est présenté sur des tiges de fils de laine en spirale inspirés des arabesques, que Venturi relie aux plantes utilisées dans le folklore pour éloigner les cauchemars lorsqu’elles sont placées sous les oreillers. Ces spirales et ces objets suggèrent une rupture dans le flux du temps, où les traces du passé hantent le présent, incarnant l’étrange dans leur persistance silencieuse. Dans son tableau, une catastrophe indéfinissable est représentée, une sorte d’explosion qui est le résultat d’une superposition déterminée pour effacer les traces de couleur, une couleur qui semble ne s’être libérée que dans la goutte de bleu présente sur la tranche de la toile.
Théo Levillain explore avec humour la banalité et l’absurdité du quotidien. Ses sculptures cinétiques, créées à partir de matériaux de rebut, tournent, vrombissent et exagèrent la banalité des objets quotidiens. Des mains qui tournent en serrant des cigarettes aux prises électriques obsolètes, Théo semble transformer les détritus de la société néolibérale en un commentaire ludique mais troublant sur la mécanisation de la vie. Comme un amalgame entre les peintures quasi-surréalistes de Philip Guston et les mécanismes absurdes de Mika Rottenberg, ses œuvres établissent des parallèles entre le corps et la machine, l’erratique et le statique, les entraînant dans une danse vertigineuse qui révèle l’absurdité et l’étrangeté d’un mouvement continu sans but.
La pratique de Léo Reichling s’appuie sur des symboles d’opulence et de nostalgie pour en subvertir les associations. Les poupées en porcelaine sont transformées en marionnettes inquiétantes, les cuillères en argent sont fondues, et les taches rouges s’infiltrent sur les surfaces, dans un geste ambigu qui peut rappeler un coup de violence ou celui d’un pinceau. Ces œuvres ont un air d’éloignement, comme les artefacts d’un rêve récurrent ou des souvenirs déformés par le temps. Elles évoquent un sentiment de malaise, où les frontières entre la réalité et l’hallucination s’estompent, ne laissant que de faibles traces de leurs origines.
Ensemble, les œuvres dans l’exposition entremêlent des traces de son, de silence, d’histoire et de vie quotidienne. L’espace d’exposition devient un lieu de résonance étrange, où l’absence et la présence se confondent, et où le familier cède la place à l’étrange. En explorant la persistance de ce qui demeure malgré les tentatives d’effacement ou de dépassement, les artistes proposent une réflexion sur la nature énigmatique et durable de l’existence elle-même.
Biographies
Iroise Doublet (née en 1993, Rennes) vit et travaille à Clermont-Ferrand. Elle est diplômée de l’ENSBA Paris en 2017. Sa démarche est traversée par les aspects féministes d’une histoire de la représentation, de la narration et de l’écriture de soi. Entre matérialité, plaisir visuel et langage conceptuel, elle interroge l’autonomie de la peinture au sein d’une pratique hétérogène. Son travail a récemment été montré dans le cadre de la résidence menée au Café des Glaces à Tonnerre (2023), en partenariat avec le FRAC Bourgogne. En février 2025, elle présentera une exposition personnelle à La Tôlerie (Clermont-Ferrand).
Victor Gény est né en 1996, DNSEP obtenu à l’ESACM en 2023, il vit et travaille à Clermont-Ferrand. « L’être humain est ainsi fait qu’il apprend et résonne principalement par analogie, adoptant des stéréotypes qui lui permettant une identification rapide, relativement rassurante par rapport à l’angoissante relation d’altérité. La ritualisation des pratiques, en particulier religieuses, s’appuie sur cette dynamique, qu’elle renforce. Le travail de Victor Gény en s’attaquant à ces stéréotypes, aux mythologies populaires, s’applique à déstabiliser les conforts de pensée, les certitudes installées du regard. Sa démarche complexe, use de ficelles métaphoriques et des techniques illusionnistes qui figurent dans la boite à outil de tout artiste plasticien. Il articule plusieurs niveaux de déplacement et de retournement qui opèrent sur la forme, le matériau et le sens. » – extrait d’un texte par Jean-Paul Blanchet
Théo Levillain est né le 2 mai 1995, il vit et travaille à Clermont-Ferrand. Théo Levillain réactive des matériaux déclassés (circuits électroniques, synthétiseurs, ventilateurs, transistors, tubes métalliques). Qu’il assemble selon des connexions fragiles, constructions sonores, à même d’interagir avec leurs environnements.
Léo Reichling (né à Annemasse en 1999) vit et travaille entre Genève et Clermont-Ferrand. Il est diplômé de l’ESACM Clermont en 2023 avec les félicitations du jury. Adoptant une approche volontairement floue et empreinte de déréliction, Léo développe un travail graphique et sculptural. Ses pièces usent d’un certain caractère ambigu entre noblesse et choses abjectes.
Son travail à été montré lors d’expositions collectives à Ps: Communitism, Athens (2022); Fugitive Flavors, Clermont-Ferrand (2024).
Kolja Venturi est né le 22 mars 1998, a obtenu son DNSEP à l’ESACM en 2023, et vit et travaille à Clermont-Ferrand. Sa pratique pluridisciplinaire s’axe autour différentes histoires, sujets et sensations qui lui sont personnelles. Après s’en être emparé et réapproprié, il est souvent question pour lui d’en tirer des histoires qui de bout en bout s’éloignent de leur origine première sans pour autant s’en détacher. Une manière d’absorber des éléments et objets, d’artificialiser les choses, de confronter le concret et l’idéal en une somme d’étrangeté.