TEMPO : Chapitre 2 : « Pourquoi n’y a-t-il rien ici alors qu’il devrait y avoir quelque chose? »
Hélène Caiazzo, Jade Lièvre, Brice Robert, Frederic Storup
11 janvier — 1 février 2025



























Chapitre 2 : Pourquoi n’y a-t-il rien ici alors
qu’il devrait y avoir quelque chose ?
Hélène Caiazzo, Jade Lièvre, Brice Robert, Frederic Storup
11 janvier – 01 février 2025 vernissage samedi 11 janvier ; 18h – 21h
“Pourquoi y a-t-il quelque chose là où il ne devrait rien y avoir ? Pourquoi n’y a-t-il rien là où il devrait y avoir quelque chose ?” Ces interrogations, formulées par Mark Fisher dans The Weird and the Eerie, ont servi de prisme pour explorer des pratiques artistiques diverses, réunies dans un même espace : celui des Ateliers. Ces lieux où ces questions pourraient effleurer les esprits des artistes, lorsqu’iels se confrontent à leurs pratiques, seul·es, avant de quitter leurs espaces individuels pour croiser d’autres occupant·es de cet environnement partagé. Dans les espaces communs, autour d’un café, d’un déjeuner, d’une partie de billard ou d’une simple pause, des échanges de matériaux et d’idées prennent vie, alimentant un dialogue constant entre individualité et collectivité.
De retour dans leurs ateliers respectifs, les artistes façonnent des univers plastiques singuliers et autonomes. Pourtant, les gestes, les rythmes et les routines de chacun laissent une empreinte subtile dans cet espace collectif, tissant des résonances sensibles à travers leur quotidien. Cette exposition met ainsi en lumière la richesse de pratiques radicalement différentes, tout en célébrant ce qui naît du partage d’un lieu de création commun.
Dans la continuité du premier chapitre présenté dans les murs d’In extenso en décembre dernier, avec des œuvres d’Iroise Doublet, Victor Gény, Théo Levillain, Leo Reichling et Kolja Venturi, ce deuxième chapitre – Pourquoi n’y a-t-il rien ici alors qu’il devrait y avoir quelque chose – réunit quatre autres artistes – Hélène Caiazzo, Jade Lievre, Brice Robert et Frederic Storup – qui ont également traversé les espaces des Ateliers en 2024. Si leurs pratiques sont esthétiquement distinctes, le « rien » énoncé dans la question titre résonne étrangement, loin de toute connotation péjorative. Le motif de la façade – à entendre également comme celui de l’artifice, de l’illusion – émerge d’abord dans un paysage architectural vidé de ses occupant·es.
Dans les toiles de Brice Robert, nous sommes littéralement confronté·es à des façades – celles de maisons pavillonnaires, d’usines et d’architectures quelconques. Peints avec un coup de pinceau minutieux et laborieux, ces œuvres ne se contentent pas de dévoiler une narration à travers leurs motifs : les gestes mêmes de la peinture racontent une répétitivité, un rythme mécanique qui fait écho à la routine d’un·e ouvrier·e vivant dans une maison pavillonnaire, se levant à l’aube (comme en témoigne la lumière), quittant son foyer pour travailler dans un environnement industriel, avant de rentrer chez lui·elle. À travers ces compositions, Brice met en lumière une réalité sociale marquée par la monotonie et la constance, interrogeant subtilement les conditions de vie et de travail. L’échelle monumentale de ses œuvres ne vénère ni ne romantise le banal, mais le révèle avec une honnêteté brute, tel qu’il est.
Un autre type de façade, celle du faux-semblant, est évoqué dans les œuvres d’Hélène Caiazzo, qui dressent ensemble le portrait désabusé d’un personnage ou d’un monde à la fois triste et humoristique, extrait d’un univers de névroses, pour illustrer le titre de l’œuvre (Névrotica). Dans ce moment suspendu – le lendemain de soirée ? la nuit qui précède ? – dans un espace intime, une maladresse assumée se mêle à la technique de la céramiste, créant une vanitas chargée de symbolisme : des serpents pécheurs s’enroulent autour d’un miroir défectueux, reflétant la fragilité inhérente à la beauté ; un calice vide et un cendrier plein évoquent aussi bien la célébration que le désespoir ; une coquille marine n’a même pas besoin de dissimuler sa forme suggestive, à côté d’un dildo en céramique ; une scène où des fleurs éparpillées rappellent le flétrissement du temps. La fragilité même de la céramique, matériau souvent associé à la délicatesse, semble ici souligner le tragique sous-jacent, mais rendu presque ridicule par sa forme pop et sa légèreté.
Frédéric Storup nous invite à découvrir ce qui se cache derrière la façade, en explorant la tension entre le matériel et l’immatériel, le geste et l’absence, le visible et l’invisible. Les pièces ici découlent de son expérience en tant que cordiste où il intervenait dans les clochers pour remplacer les abat-sons en bois par des répliques en fibre moins radio-absorbantes aux motifs de bois peints à la main. Ce travail, lié à l’installation d’antennes de télécommunication dans ces clochers, l’a conduit à découvrir des cheminées en fausse brique qui dissimulent elles aussi des antennes grâce à des matériaux plus transparents aux ondes. Dans son installation, la structure modulaire en aluminium récupéré agit comme un réseau conducteur de signaux fictifs dont les LEDs, telles des veilleuses, témoigneraient d’une activité invisible, mais en marche. Rendre l’intangible visible est ainsi au cœur de sa pratique.
Au sous-sol, l’artifice occupe le devant de la scène dans un ensemble camp qui danse au rythme d’ABBA (et d’autres), se noyant dans la distraction — le destin, l’amour, tout pour échapper au « rien ». L’installation vidéo de Jade Lièvre, Devenir chienne ou être en chien, explore l’amour et sa domestication : la manière dont il est enseigné et perçu à travers les cadres contraignants et hétéronormatifs de la société, et les angoisses que cela génère. Le chien·ne domestiqué·e, adoré·e par la famille nucléaire quand cela l’arrange, devient une métaphore des déséquilibres dans les relations amoureuses. Le film met cela en parallèle avec un personnage (habillé en chien·ne) cherchant désespérément son destin à travers des horoscopes et des compatibilités astrologiques, incarnant la tension entre le désir et la désillusion. Cela ressemble à une soirée karaoké cathartique après une rupture — hurler des hymnes de cœur brisé pour apaiser son âme — jusqu’à ce que l’illusion se brise, révélant que c’est aussi un faux semblant. Les paroles qui défilent ne sont pas celles de Dilemma de Kelly Rowland et Nelly ou des chansons déchirantes de Bonnie Tyler – l’amour est un jeu de dupes – que l’on entend, mais un texte écrit par l’artiste, qui dissèque le conditionnement de l’amour, et, l’éventuelle illusion de son inconditionnalité.
BIOS
Hélène Caiazzo vit et travaille à Clermont-Ferrand. Elle est diplômée de l’École Supérieure d’Art et de Design d’Angers en 2017. Elle s’est formée en autodidacte à la pratique du tournage et fait des ponts entre sculpture et artisanat en créant des « sculptures domestiques » et des «objets sculpturaux». Elle emprunte des images à l’histoire de l’art, l’anthropologie, l’archéologie, et l’artisanat afin d’interroger le statut des objets et les formes de récits qui y sont attachés en créant des narrations symboliques, imprégnées de l’idée d’artefact et de faux-semblant.
Jade Lièvre, née à Quimper en 1996, vit et travaille à Nantes depuis peu et est diplômée de l’ESACM en 2020. Son travail est marqué par des choix de matériaux et de réalisation simples et peu coûteux. Elle se fabrique des costumes et des décors et crée des films qu’elle interprète et qui mettent en scène l’amour, les émotions et la fragilité comme des dissidences et des outils légitimes et forts d’actions et de révolution. Son travail est marqué par ses engagements politiques féministes et queer, ainsi que par ses questionnements personnels autour de l’amour, des normes, du pouvoir et des désirs.
Brice Robert (né à Clermont-Ferrand en 1986) vit et travaille à Clermont-Ferrand. Il est diplômé de l’EESAB Brest en 2012. Dans un travail de peinture figurative,il met en lumière la banalité d’un environnement familier sans fard, lui conférant ainsi une épaisseur existentielle. Il hisse l’ordinaire au rang de l’extraordinaire en refusant la facilité de l’extravagant, du lyrisme ou du pittoresque susceptibles de le réenchanter. Il est récemment présenté lors du show collectif « Dans les temps » à Stems Gallery, Brussels et fraîchement lauréat des Bourses Emmanuèle Bernheim du Fond de Dotation Vendredi soir, Paris 2024.
Fréderic Storup (né à Le Thoronet en 1997) est diplômé de l’ESACM en 2020, il vit et travaille à Clermont Ferrand. Il s’amuse à construire des mécanismes et des systèmes qui parfois s’autodétruisent ou qui ne sont qu’un détail d’une réaction en chaîne plus grande. Il joue avec des phénomènes tangibles et empiriques comme l’équilibre, la marée, la révolution des astres, etc. De module en module, telles des connexions neuronales, l’information se déplace comme une boule de neige. Ces pièces grouillent et évoluent, se fabriquant un nouveau sens à chaque activation en s’inspirant autant de systèmes mécaniques que du vivant. Il invite à vivre des expériences absurdes, vaines et drôles dont émane l’attention qu’il porte à la fabrication de chaque engrenage.” – Extrait d’un texte écrit par Co.co.