The past is a grotesque animal

Daniel Arsham, Stéphanie Cherpin, Karim Ghelloussi, Guillaume Linard Osorio, Evariste Richer

25 février — 8 avril 2011


« Sometimes I wonder if you’re mythologizing me
Like I do you »

Of Montréal The past is a grotesque animal / 2007

« The past is a grotesque animal » est une exposition collective réunissant des œuvres qui entretiennent, chacune à leur façon, un rapport intime avec le temps. Sculptures, film, peinture, les pièces montrées définissent des territoires singuliers, au gré des différentes citations ou réappropriations opérées par les artistes, mais toujours dans la perspective de brouiller les pistes d’une localisation spatio-temporelle évidente. Mythologies personnelles ou collectives, mythomanies formelles usant de la mise en scène ou de la reconstitution… difficile d’identifier ces formes, de les dater, ou d’en dire la source. Comme une « impression de déjà vu », elles dégagent un sentiment paradoxal d’ici et d’ailleurs, d’archaïsme et d’anticipation tant les breaks sémantiques ou esthétiques qu’elles induisent mettent à mal la linéarité de nos façons d’appréhender la dimension temporelle du monde.

Habité de science-fiction, d’architecture et d’espaces virtuels, l’univers de Daniel Arsham se prête particulièrement à ces sauts dans le temps et l’espace. Dans Pound, une jungle laisse entrevoir, à travers les feuillages, un monument minimaliste a mi chemin entre ruine Maya et artefact d’une civilisation futuriste (on pense aux planètes labyrinthiques de Dan Simmons, ou aux géoglyphes de Nazca). Ce totem « pixellisé » cadre mal avec son environnement végétal…La petite gouache évoque les images peintes par les aventuriers-naturalistes des siècles passés, révélant a l’ancien monde les mystères et merveilles des nouvelles terres promises et exotiques.

“Exotisme” également dans O Jardim Botanico Tropical, de Karim Ghelloussi.Cette curieuse sculpture sert de perchoir à deux perroquets factices. Dans l’espace d’exposition, cette rencontre interpelle par la juxtaposition de deux univers bien distincts. Culture et nature.Dans le même temps, l’image est réaliste si on la considère comme extirpée de son possible contexte : une sculpture d’extérieur, décorant les parcs d’un jardin tropical, et sur laquelle viennent nicher les oiseaux de passage. O Jardim Botanico Tropical s’emploie à nous égarer par les différents enjeux qu’elle convoque : citation de la statuaire des 50’s (notamment henry Moore), reconstitution un peu kitch pour diorama d’un musée d’histoire naturelle, évocation nostalgique d’une dolce vita post colonialiste… Encore une fois, les différentes pistes se confondent pour se perdre dans la jungle de la mémoire collective.

Autre mémoire, celle du cinéma cette fois, avec Os Candagos de Guillaume Linard-Osorio, qui se réapproprie le film L’homme de Rio (1964) de Philippe de Broca. Plusieurs scènes tournées sur le chantier de ce qui deviendra Brasilia, la nouvelle capitale du Brésil, sont retravaillées plan par plan afin d’effacer le personnage qui parcourt la ville encore déserte. Cette disparition, qui nous prive des repères narratifs du récit, transforme les séquences d’un film d’aventure en une toute autre expérience : celle d’une urbanité fantastique et inquiétante, aussi inextricable que les labyrinthes de Borges… Le mystère est accentué par des chutes impromptues de parties construites dont les causes nous échappent, et qui préfigurent déjà la désagrégation future de la plus moderne des capitales du monde.

Agrégat d’objets hétéroclites, A fist is fast and Jimmie’s cast hang me, de Stéphanie Cherpin pourrait évoquer un instrument de musique grotesque et désaccordé, et rappelle étrangement certaines constructions cubistes (tôle pour guitare/P.Picasso/1912). Mais elle relève également du fragment archéologique : Débris plus ou moins identifiables retirés des ruines d’un quelconque désastre, et dont seuls quelques détails demeurent identifiables.L’artiste les recompose en jouant une partition étrange sur le mode du combine painting. Matériaux récupérés, grimés, ou reproduits, le statut de cet objet demeure incertain.

Statut plus complexe encore, celui de Fire Camp, d’Evariste Richer. L’artiste, amateur de géologie ré-agence des buches de bois fossilisées sous la forme d’un feu de camp. Ici, plusieurs périodes coexistent. Retour sur la maîtrise du feu par l’homme, il y plus de 500 000 ans : L’une des toutes premières formes définissant un espace domestique et protégé : le « foyer ». Et l’Histoire continue : Âtres, buchers, bivouacs, free parties… Symbole de festivité ou d’obscurantisme, le motif du feu de camp à traversé les âges, à l’instar de ces matières fossiles jusqu’à redevenir, de nos jours, une forme d’avenir de la consommation énergétique. Les buches ainsi mises en situation évoquent un instantané éternellement figé, une vanité à l’échelle géologique qui réunit conceptuellement le bois et la pierre, les deux matériaux les plus représentés dans l’Histoire de la sculpture…