Merci la nuit

Philippe Eydieu

12 novembre — 13 décembre 2009


Greenhouse, Saint-Étienne

Une charge poétique évidente nous saisit à la rencontre de cette masse informe composée de noir où ne subsiste qu’un simple point lumineux étrangement mouvant. Merci la nuit est une installation où l’expérience individuelle est prégnante. Le spectateur se rend, s’abandonne, seul dans une obscurité totale. Puis, le processus rétinien permet une adaptation lente et progressive. Entre ivresse et angoisse, une sensation proche du black-out nous envahit. Petit à petit la scène se dévoile. A travers une immense pièce vide parsemée de colonnades, un zeppelin miniature semble suivre la trajectoire erratique de ses pensées. En forme de fade in1, l’œuvre se découvre à l’épreuve d’une durée, celle qui commence dans la nuit pour finir entre chien et loups.

Cette œuvre de Philippe Eydieu est tout à la fois anxiogène et merveilleuse. En fait, Merci la nuit s’adapte à nos émotions, elle nous reflète par quelque chose qui n’est pas de l’ordre du dédoublement (miroir) mais qui serait plutôt proche de l’absorption. L’œuvre nous plonge dans une sorte d’introspection furtive, qui ne dure que le temps du retour à une relative clarté. Si Philippe Eydieu rend hommage en son titre à cette « nuit », c’est sans aucun doute parce qu’elle permet une « expérience intérieure2 ». Cette expérience dont Georges Bataille disait qu’elle consistait à « jouer l’homme ivre, titubant, qui, de fil en aiguille, prend sa bougie pour lui-même, la souffle, et criant de peur, à la fin, se prend pour la nuit ». Par l’infime lumière circulant autour de nous, Philippe Eydieu nous place à la limite de cette frayeur où le sujet se confond avec l’objet de sa peur et fait de ce moment une « expérience tendue entre perte et extase, ténèbres et luminosité3 ».

Martial Déflacieux


1 – Fade in ou fondu d’ouverture, utilisé en musique, il consiste à passer progressivement au son.

2 – L’expérience intérieure de Georges Bataille (1943)

3 – in Survivance des Lucioles de Georges Didi-Huberman (les éditions de Minuit, 2009, pages 126), à propos de Sur Nietzche (1944) de Georges Bataille.