L’oasis
Jacent Varoym
15 juin — 30 juillet 2017
In extenso_ Vous présentez votre exposition L’Oasis à In extenso comme « une succursale marchande » de votre projet précédent Chez Jacent à Tonus (Paris). Quelle est la genèse de ce projet, s’inscrit-il dans une suite?
Jacent Varoym_ La genèse de nos projets est la convivialité, le partage. Nos expositions sont toutes intimement liées : nous créons des atmosphères inspirées de la vie domestique, de la vie en général. À Tonus, nous avons imaginé deux pièces d’une maison, une cuisine et un salon/salle à manger, reliées par un long corridor de lumières. Deux buffets y étaient organisés comme des moments forts, mais il était aussi agréable de visiter l’exposition en pleine journée, de se servir un verre à la cuisine et de s’affaler dans le canapé. Nous souhaitons que le visiteur se sente chez lui. Pour In extenso, l’exposition fonctionnera comme un commerce, L’Oasis, où l’on pourra venir se rafraîchir (une citronnade à la menthe sera servie aux visiteurs), acheter des assiettes, des carreaux de faïence, des pichets, des chemises ou des sculptures, écouter de la musique… Les visiteurs seront accueillis de la manière la plus chaleureuse et courtoise qu’il soit, par un hôte ou une hôtesse qui porteront une tenue spécifique signée Jacent.
Ie_ Vos expositions se comprennent comme des invitations envoyées à tous afin de venir partager un moment convivial et festif, qui se situent bien sûr dans la lignée de toutes les démarches artistiques rassemblées sous la houlette de « l’Esthétique relationnelle ». Ce concept, alors plein de promesses, dépassant l’idée du partage d’une simple bière entre ami, a cependant montré ses limites et essuyé les critiques, plutôt recevables dans l’ensemble, de nombreux auteurs. Vous semblez malgré tout croire sincèrement en ce concept et n’hésitez pas à le mettre en avant. Comment envisagez-vous ces notions de partage et d’échange? Pourquoi, selon vous, sont-elles viables à partir du domaine de l’art?
JV_ Nous envisageons l’art comme un prolongement de la vie. Les visiteurs sont reçus comme des invités, ce qui implique une notion de service, de don de soi et de générosité. Selon le contexte, le pays et les coutumes, nous adaptons nos propositions, qui sont souvent de l’“art total”. Des dîners, un défilé de mode, un café, un bazar, un night-club… Tant de nouveaux sujets qui stimulent notre pratique.
L’esthétique relationnelle est un mouvement pour lequel nous avons de l’empathie, certainement truffé de contradictions, mais qui n’en reste pas moins attrayant et touchant dans ses intentions. Les artistes concernés par cette théorie ont posé des questions essentielles sur la notion d’exposition, la notion d’auteur, la perception des œuvres, le travail en collaboration, la performance. Quoi qu’en disent les critiques, nous sommes heureux qu’il y ait eu ce genre d’artistes en France (et ailleurs) pour nourrir la génération suivante. Ceci étant dit, nous sommes loin de nous poser comme les héritiers directs de l’Esthétique relationnelle. La notre évoque le début du siècle passé. C’est dans la perception de l’œuvre et la notion d’exposition que nous proposons des sentiments nouveaux. Cela fonctionne à partir du domaine de l’art car les visiteurs sont sensibles à cette proximité. L’audience tend à être sollicitée, interrogée, bousculée.
Ie_ L’espace d’art contemporain normé, le white cube est souvent considéré comme un lieu froid, aseptisé et dépersonnalisé. Dans un tel contexte, les œuvres observent une distance vis-à-vis du visiteur, n’engagent pas aux familiarités et imposent leur autorité. Votre démarche, axée sur la convivialité, la festivité et l’opulence, mais aussi l’amitié et l’amour, perturbe cet état de fait sans pour autant verser dans l’idéologie inverse. Comment envisagez-vous les choses?
JV_ Nous sommes très sensibles à l’histoire d’un lieu, à son architecture, sa lumière, son environnement. Il y a des endroits où nous rêvons d’exposer pour leur singularité comme la synagogue de Delme ou le Schinkel Pavillon à Berlin par exemple. À In extenso, nous sommes intéressés par le contexte médiéval de la galerie dans une rue marchande très étroite, les arcades, le petit escalier. Tout cela nourrit notre imaginaire. Il est primordial pour nous de jouer avec les particularités de l’endroit dans lequel nous exposons. Bien qu’un espace neutre semble idéal pour que s’épanouisse notre esthétique, notre ambiance, nos couleurs, nous sommes plus inspirés − depuis toujours − par un lieu de caractère. Nos ambiances domestiques incitent le visiteur à modifier son attitude face aux œuvres, à habiter leur espace physiquement, à activer les pièces. Nous nous sentons plus à l’aise dans un lieu chargé d’histoire et d’une aura que dans une salle dépersonnalisée et épurée de tout. Beaucoup de propositions récentes s’affranchissent largement du white cube, grâce à des expositions dans des appartements, dans la forêt ou sous un pont, dans des caves, des cabanes, des garages… C’est aussi là que les choses se font. Tout l’enjeu est de parvenir à faire passer cette énergie dans les institutions normées, d’une manière ou d’une autre.
Ie_ Formés dans une école de graphisme, vous semblez ne pas avoir été marqués par l’art conceptuel, comme le sont en général les artistes diplômés des Beaux-Arts. Il résulte de votre pratique une liberté d’utilisation, entre autres, des arts décoratifs, de la table et de la gastronomie, sans intermédiaire. Votre rapport à l’art est-il ainsi plus sensuel que cérébral?
JV_ Notre rapport à l’art est évidemment sensuel, en quête de beauté et d’harmonie. Jade et moi vivons avec l’art et le pratiquons depuis notre plus jeune âge. Mon père est viticulteur, amateur éclairé de peinture et d’architecture, il y a des architectes dans notre famille, un de mes ancêtres était un collectionneur de livres et d’art très réputé au XVIIe siècle. La grand-mère de Jade était sculptrice et sa mère est créatrice de robes de mariées. Tout ce contexte est pour nous plus essentiel que notre formation dans une école de graphisme.
Celle-ci, très académique, a été fondée en 1968 en réaction à la vague libertaire-conceptuelle des Beaux-Arts de Paris. Faut-il y voir un signe? Non. Si notre goût nous dirige naturellement vers les artistes du début du XXe siècle, les arts décoratifs ou l’art populaire, l’art conceptuel nous intéresse aussi ; nous l’avons étudié, digéré. Nous considérons nos propositions comme conceptuelles dans la mesure où nous voulons rendre vivant le rapport à l’art. Le visiteur mange dans nos assiettes, s’assoie dans nos fauteuils, marche sur notre moquette, boit notre vin, tâche nos nappes. Ce lâcher-prise, c’est le fondement de notre philosophie et de notre démarche.
Jade Fourès-Varnier et Vincent de Hoÿm (nés en 1984) vivent et travaillent à Paris.
Ils travaillent en duo depuis 2014 sous l’entité Jacent Varoym, fusion de leur deux noms.