French Riviera

David Ancelin, Patrice Carré, Stéphane Lecomte, Pascale Mijares

23 janvier — 1 mars 2014


Carte blanche à Documents d’artistes

Il y a dans le titre « French Riviera » la promesse d’un territoire étranger, à la lisière du fantasme et de l’ambition d’un loisir infini. French Riviera sonne comme une destination possible, comme un paysage d’horizon à portée de main. Ce territoire n’est évidemment pas ce qu’on croit, c’est l’image amalgamée d’un ensemble de clichés produits à grand renfort de rêves conditionnés pour circuler. Il est l’archipel d’un imaginaire traversé par de multiples codes, tordu par les messages publicitaires, les invitations à désirer le standard. C’est un monde de synthèse dans lequel le familier se mêle à l’envie.

Cette mécanique qui articule la connaissance d’un objet (ou d’un territoire) et la construction mentale, active l’ensemble des œuvres présentées dans l’exposition French Riviera. Puisant leurs formes dans la trivialité du réel, elles semblent se dérober, ouvrir leur horizon en amalgamant des éléments de cultures étrangers les uns aux autres. Elles re-codent la réalité et se présentent comme des terres de rencontres hétérogènes. Ce sont des objets voyageurs qui travaillent par collage et composent des histoires personnelles en puisant dans le quotidien et dans la manne des représentations qui circulent sur tous les réseaux d’informations possibles.

Les collages numériques de Stéphane Lecomte pourraient être perçus comme les symptômes d’une surexposition aux images. Amalgamant des stars de la variété internationale, des éléments d’architecture, des voitures, de tendres animaux et des pin-ups, ces œuvres catalysent des éléments de désirs consommables. Assemblées grossièrement sur des fonds aux couleurs vives, les collages semblent schématiser les réseaux d’influence du regard. Tout s’aplatit, la profondeur disparaît, et Marcel Duchamp partage l’affiche avec Rihanna et Bambi. Cette confusion des genres rejoue avec distance et humour celle d’une société dans laquelle l’intrication des images et du désir est une puissance. Les collages numériques de Stéphane Lecomte affirment la conscience de cette emprise, ils constatent et se jouent de cette forme insidieuse de domination.

La reproductibilité des images et leur circulation est également au cœur de la série Matisse à crans de Patrice Carré. Prenant pour modèle les gouaches découpées de Matisse « bien connues et diffusées largement sous forme de posters, dans les librairies de nombreux musées », il engage un fidèle travail de copie à ce détail prêt que les découpages qu’il opère se font à l’aide de ciseaux crantés d’ordinaire utilisés en couture. Les Nus à crans réalisés à partir de « fonds piscine » pour certains et « fonds viande » pour d’autres, font entrer en collision l’art, l’industrie culturelle, la consommation de masse. A travers cette rencontre contre nature Patrice Carré porte son regard sur la neutralisation des œuvres d’art par leur image elle-même. Cette prévalence de la représentation les inscrit fatalement dans le monde du décoratif. Iconoclaste, l’artiste accompagne le mouvement à l’aide de ses crans et fait définitivement basculer la représentation dans un kitsch surjoué.

Se dégageant de l’image, l’œuvre Out of Africa de David Ancelin tient pourtant du collage. Mais ici les objets se sont substitués à leur illustration. Par un simple déplacement l’artiste compose une sculpture qui porte en elle une narration. Un palmier dans un sac dos, puisque c’est de cela qu’il s’agit, suffit à convoquer l’exotisme bon marché d’un voyage lointain. Le collage fonctionne ici comme un déclencheur que le titre (se référant à un film connu de tous) vient appuyer. Et c’est un territoire tout entier, fait de stéréotypes, qui s’ouvre par un simple déplacement. Une terre idéale synthétisée dans une sculpture d’angle posée dans un espace d’exposition.

L’œuvre de Pascale Mijares procède elle aussi du transfert. Composée d’un chariot à ménage équipé de ses produits d’entretien et de ses ustensiles de nettoyage, l’œuvre se distingue pourtant d’un chariot à ménage équipé de ses produits d’entretien et de ses ustensiles de nettoyage. Cette différence tient dans la nature des chiffons, serpillère, gants et peau de chamois qui s’agencent sur lui. Chaque élément est en effet « individualisé » à l’aide de broderies ou de transferts tatoo. C’est un statut social lié à une profession déclassée et une pratique culturelle de la représentation par le signe qui se croisent dans Ma mob. Il y a un étrange paradoxe à faire se rencontrer le désir de distinction et les invisibles de la société. La fonction et le paraître irréconciliables se trouvent ici mêlés comme pour résister à la disparition du regard.

Les œuvres de French Riviera sont morcelées, construites comme des agrégats mêlant histoire de l’art, sous-culture, industrie culturelle, trivialité…, elles sont vivantes et irrévérencieuses. A première vue, on pourrait croire qu’elles jouissent sans retenue de leurs origines multiples, qu’enfants de leur temps, elles ont fait leur le nivellement des cultures. Mais les œuvres de French Riviera ne sont évidemment pas ce qu’on croit, retorses elles ont le pouvoir de détourner le discours de leurs propres formes pour porter un regard tranchant sur le monde.

Guillaume Mansart, 2013


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