Half-Park
Tom Castinel, Bruno Silva
28 janvier — 25 mars 2021
Pour l’exposition « Half-Park », Tom Castinel et Bruno Silva collaborent à la réalisation d’un environnement hybride où des éléments organiques et synthétiques se mêlent dans un collage de formes et d’incrustations de matières. Des colonnes en mousse, des formes en polystyrène et poudre de coquillage, suggérant des plantes et des roches, dialoguent avec du mobilier en béton, dont la surface rugueuse ressemble à l’écorce d’un arbre. Ici tout est faux ou fait semblant d’être vrai. Les artistes produisent aussi un film dans l’exposition, qui se transforme temporairement en un plateau de tournage. Inspiré de la scène finale du film Cosmopolis (2012), du réalisateur canadien David Cronenberg, le scénario écrit par Tom Castinel et Bruno Silva est une projection romanesque de leurs échanges à l’atelier, une histoire d’appropriation du travail de l’autre et de détournement de rôles.
Les artistes ont invité Wilfried Assume à intervenir sur la vitrine d’In extenso.
Pietro Della Giustina : Le visuel que vous avez choisi pour l’exposition représente un corail et une forêt, deux univers très différents. Pourriez-vous m’en dire un peu plus ?
Bruno Silva : Le visuel de l’exposition se compose de deux cadeaux, que chacun a fait à l’autre. Au premier plan il y a un faux corail, une sculpture d’aquarium que Tom m’a offerte. L’image derrière, le paysage, c’est la pochette d’un album que j’ai offert à Tom il y a un an ou deux, d’un chanteur populaire portugais, Antonio Variações. Le titre de l’album se traduit par « donner et recevoir ». Le visuel nous semblait introduire parfaitement l’exposition, un échange ouvert entre deux pratiques, un jeu de formes. Dans ce visuel… tout est fake !
Tom Castinel : C’est une sorte de paysage onirique. L’exposition est un amalgame entre espace vert, jardin botanique, zoo, aire de jeu et de détente.
BS : C’est la synthèse d’un parc d’où le titre de l’exposition, « Half-Park ».
PDG : Justement… le titre… Pourquoi avez-vous choisi « Half-Park » ?
TC : Généralement, le parc est un lieu avec des horaires d’ouverture, auquel les gens ne peuvent pas toujours accéder. Un peu comme une salle d’exposition. Le dimanche, certain·e·s vont au parc, d’autres vont chiller au musée. Donc c’est quoi un espace d’exposition ? Pourquoi pas un parc, un demi-parc ? On fait deux propositions parallèles, l’une dans l’espace d’In extenso, l’autre dans le local d’en face, avec la même base : du mobilier, du végétal et de l’animal, une vision très citadine du parc ! Le registre des pièces est le même, mais les ambiances sont distinctes.
BS : L’exposition se présente comme un enclos de promenade et de rencontre, un espace naturel domestiqué, paysagé, meublé, à mi-chemin entre la nature et la ville, entre l’organique et le synthétique. Elle occupe des espaces topologiquement éloignés : In extenso, habité et lumineux dans lequel on peut facilement rentrer et l’espace d’en face, inoccupé, sombre et humide. Il n’est accessible qu’en étant accompagné par les « gardien·ne·s » : Marie et toi.
PDG : L’exposition fonctionne aussi comme un décor pour le tournage d’un film où vous interprétez deux personnages. Le film qui vous a inspiré est Cosmopolis, du réalisateur canadien David Cronenberg, et notamment le dialogue final, le règlement de compte entre le protagoniste, Eric Packer, jeune héros en faillite du monde de la finance new-yorkaise, et Benno Levin, son ancien analyste, désenchanté par son passé professionnel. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette scène ? Comment vous a-t-elle permis de penser votre scénario ?
TC : En effet, l’exposition devient décor pendant la durée du tournage. Dans le film Cosmopolis, on s’intéresse surtout au découpage technique : la façon dont les images sont montées et les dialogues apparaissent. Nous avons choisi la scène finale pour la discussion entre les deux personnages et leur rapport hiérarchique : l’un est employeur, l’autre est employé. Le dialogue tourne autour des ressentiments qu’ils ont l’un envers l’autre : qui a utilisé qui ? Qui a volé qui ? On peut faire un parallèle avec les discussions qu’on a à l’atelier : qui absorbe qui ? Qui contient qui ? Qui fait des mousses à la taille des vases et qui fait des vases parce qu’il y a des mousses ? Notre collaboration se fonde sur une conversation constante, des décisions communes et des compromis, même si c’est un mot que je déteste. Il est là le dialogue de notre film, le dialogue entre nos pratiques, nos échanges autour de l’exposition. La question c’est 1+1 ou 1 et 1 ? (rire)
BS : La scène du film de Cronenberg donne à voir un moment de négociation… un deal. Pour nous, elle parle de matière et de détournement. On s’approprie le film, on absorbe le travail de l’autre. Ce n’est pas une histoire de possession mais d’appropriation. Est-ce que 1+1 = 2 ou 1+1 = 11 ? (rire)
PDG : Quel statut donnez-vous aux œuvres présentées ? S’agit-il d’une collaboration avec une production commune ?
TC : Nous nous sommes beaucoup posé la question du statut des œuvres proposées. Est-ce que ce sont des pièces qui cohabitent sur le temps de l’exposition ou des productions en commun ? Concrètement, sans réaliser des pièces ensemble, nous avons avancé en parallèle dans nos ateliers respectifs. Tout comme pour le visuel, c’est l’assemblage des pièces qui nous intéresse.
BS : Nos pièces sont autonomes. Il ne s’agit pas de deux artistes qui fabriquent un objet en commun mais de deux entités différentes qui se croisent. À la fin de l’exposition, Tom va reprendre ses chaises et ses pots, je vais récupérer mes mousses et tous les éléments redeviendront indépendants. C’est une façon de ne pas figer les œuvres, de leur donner une nouvelle lecture. Je pense souvent à l’atelier de Brancusi, au rôle du socle, et à la façon dont il pose des œuvres d’autres artistes sur ses propres pièces.
PDG : L’exposition à In extenso suit votre première collaboration « Plastic Beach » que vous avez réalisée à ZZ Studio (Lyon) en 2017. Qu’est-ce qui vous a amené à collaborer une nouvelle fois ensemble et qu’est-ce que la pratique de l’un apporte à celle de l’autre ?
BS : Pour la première collaboration, Tom était en résidence à Clermont-Ferrand. À cette époque nous ne nous connaissions pas bien mais nous avions beaucoup parlé de taf. Quand il est reparti à Lyon, on s’est dit qu’il fallait qu’on bosse ensemble… C’était surtout un truc de potes, faut l’assumer. Collaborer avec d’autres artistes me permet de sortir de ma zone de confort et me confronter à de nouvelles esthétiques, de nouvelles façons de faire. Nous n’avons pas le même rapport à la pratique, elles sont presque antagonistes (rire). Tom fabrique des objets, moi j’entretiens des objets. C’est aussi une manière de penser une exposition que je n’aurais pas faite tout seul. C’est un jeu.
TC : De mon côté, j’ai plusieurs projets spécifiques en collaboration avec des artistes. En ce qui concerne ma collaboration avec Bruno, c’est vraiment les notions de sculpture, d’installation et d’exposition qui me motivent. Dans ma pratique, je suis tout à l’énergie. J’ai un rapport presque d’urgence à la production en atelier. Bruno, quant à lui, est beaucoup plus appliqué. L’important c’est comment cette collaboration révèle de nouvelles choses dans nos pièces respectives, comment les assemblages que l’on propose les font switcher.
BS : Pour moi c’est une histoire d’incrustation. On se superpose sans s’effacer, on fabrique un environnement à deux avec chacun sa singularité, un featuring…
….
PDG : J’ai néanmoins une dernière question à vous poser qui me trotte dans la tête depuis le début de l’entretien… C’est qui cette personne entre vous deux ?
BS : C’est Wilfried Assume…
TC : On l’a invité à réaliser l’intervention sur la vitrine.
PDG : Tout est clair là… Merci les garçons !
Tom Castinel (Lyon, 1984), vit et travaille.
Ses œuvres ont été présentées dans de nombreuses expositions.
Il est aussi membre des duos Pâle Mâle avec Antonin Horquin et Forme Soluble avec Marie L’Hours.
Bruno Silva (Vila Nova de Gaia, 1986) vit et travaille à Clermont-Ferrand.
Il a participé à de nombreuses expositions comme « Cura », Galeria do Sol (Porto, 2020) ; « SNIFF OUT », Flux Factory (New York, 2018) ; « Two round to be One », Felt Gallery (Bergen, 2016) ; « Noite », TARS gallery (Bangkok, 2016).
Wilfried Assume est l’alter ego de Rémy Drouard, il assume ce que Rémy n’ose pas présenter dans sa pratique artistique car trop simpliste, peu rigoureux, trop amusé. Wilfried Assume ne tourne pas autour du pot et s’il tourne autour, c’est pour s’en moquer. Il aime le graffiti, le skate, le rap, la rigolade et porter des casquettes. Wilfried c’est l’éternel ado des années 2000. L’art contemporain, pour lui, est une bride à la création, un dogme de graviers jetés sous les roues d’une planche à roulettes lancée à vive allure dans une pente de béton ciré « CRIIII » c’est la chute assurée. Wilfried je-m’en-foutiste, Wilfried le-laisser-aller, en bref Wilfried Assume les plaisirs coupables que tu ne saurais assumer.
Le projet a été réalisé dans le cadre de la bourse d’aide à la création de Clermont Auvergne Métropole.