Transhumance de peaux mortes _ suc et salive
Grégoiry Cuquel
28 janvier — 12 mars 2016
In extenso présente transhumance de peaux mortes_ suc et salive, un ensemble d’œuvres sculpturales et dessinées de Grégory Cuquel. Un premier regard sur ses créations révèlera l’importance constitutive du déchet et du matériel de récupération dans sa démarche. L’artiste récupère, réutilise et reconstruit sans avoir besoin de matériau neuf, ni de leur qualité plastique. Sa démarche semble s’inscrire dès lors dans une généalogie bien connue d’artistes travaillant à partir de déchets trouvés, allant des premières toiles cubistes synthétiques de Braque et Picasso composées de rébus de papiers collés en 1912, ou des « Tableaux Merz » de Kurt Schwitters qui pensait « construire un monde nouveau avec les débris », en passant par les œuvres des « Nouveaux réalistes » ou les Combine Paintings de Rauschenberg, jusqu’à plus récemment chez des artistes comme Nari Ward, Oscar Tuazon ou Klara Liden. Pourtant, cette évocation d’une généalogie moderne et postmoderne du déchet dans l’art, de toute façon trop historiciste, ne nous aidera pas à infiltrer l’œuvre de Grégory Cuquel.
Nous ferions fausse-route si nous devions interpréter ses assemblages de déchets comme des représentations de la déchéance globale de notre époque. Si l’artiste évolue dans cette temporalité, celle d’une modernité ou postmodernité parvenue à saturation, indissociable d’un gaspillage matériel sans précédant, il se démarque pourtant du travail d’artistes tels que Marlie Mul, Michael E. Smith ou Jean-Alain Corre1 dans lequel la présence du déchet alimente une vision apocalyptique et anxiogène inhérente à l’état actuel du monde. L’origine et la symbolique des matériaux récupérés sont la plupart du temps neutralisées et expulsées au profit d’une recherche de formes, d’équilibre et de rapports d’échelle, propres à toute expérimentation dans le domaine de la sculpture. Faudrait-il alors lire ses créations comme des entités purement abstraites? L’artiste parle très souvent de son rapport à la musique, et de l’importance de celle-ci dans la conception des ses œuvres, qu’il s’agisse du métal, du punk hardcore ou du la musique minimale. On le sait, la musique est abstraite par nature et Stravinsky disait d’elle qu’elle « échappe à la nature, libérée de la nécessité de puiser dans le monde les formes de son langage ». Les œuvres de Grégory Cuquel puisent pourtant bien leur formes dans la « nature » ou plus exactement dans le réel. Il s’agit alors d’une abstraction d’un autre type, que l’on retrouve bien dans sa vidéo A tant rêver du centre (2014)2, véritable assemblage liquéfié d’images (accompagné d’une musique répétitive du compositeur William Basinski), n’évoquant rien de précis, si ce n’est une sorte de paysage mouvant, tel un océan, davantage propice à la méditation. Son corpus d’œuvres dessinées réitère quant à lui cette impression de vastitude océanique de laquelle émergeraient des formes semblant sur le point d’être de nouveau aspirées dans les abysses.
C’est ainsi que les œuvres de Grégory Cuquel suintent, coulent, se liquéfient, pour mieux se cristalliser et se matérialiser. On sent poindre des formes à venir mais encore trop précaires pour s’affirmer. Les matériaux semblent sur le point de chuter à tout moment. Si la notion de « ruine » a pu être évoquée à propos de ce travail, il ne s’agit cependant pas de la ruine d’un monde en décomposition mais d’une élévation à partir de cette décomposition, d’un assemblage semblant sur le point de dessiner un paysage, qui serait celui d’une période qui n’a pas encore de nom.
Benoît Lamy de La Chapelle
1. et plus largement dans la démarche des artistes mis en avant lors de l’exposition Geographies of Contaminations à la David Roberts Art Foundation, à Londres en 2014.
2. réalisée en collaboration avec Benoît Ménard: https://vimeo.com/107904731
Grégory Cuquel est né en 1980. Il vit et travaille à Bayonne.